Origine des photos: Archives départementales de Belfort



Témoignage anonyme d'une ancienne tisseuse des usines Zeller
Nous l’appellerons Monique
Le 27 août 1945, soit quinze jours avant son 15e anniversaire, Monique est entrée aux usines Zeller d’Etueffont Haut en tant qu’apprentie tisseuse. A contre-cœur car elle aurait tant voulu poursuivre des études pour devenir institutrice. Elle n’a pas eu cette possibilité car sa famille comportait une très nombreuse fratrie et ses parents ouvriers n’avaient pas les moyens d’envoyer leurs enfants étudier au-delà du certificat d’études primaires. Il fallait aller gagner sa vie le plus tôt possible même si on était « une tête ».
Une de ses sœurs plus âgée l’a formée. En premier on apprend à faire le nœud de tisserand qui est un nœud qui ne se défait jamais. Et ensuite on commence à travailler sur deux métiers d’abord. Comme Monique était petite , elle n’arrivait pas à attraper la boîte de trames.
Dès que l’apprentie savait travailler on lui donnait six métiers.
Les métiers étaient plus ou moins bien entretenus, parmi, les contremaîtres , certains étaient de bons mécaniciens mais d’autres faisaient la sieste pendant le travail et les jeunes ouvrières n’osaient pas les déranger. Alors elles se débrouillaient entre-elles ; Pendant que le métier était arrêté le compteur ne tournait pas et on ne gagnait rien. D’ailleurs il ne fallait pas oublier de basculer le compteur de points lorsqu’on commençait son équipe.
Il était important d’avoir une bonne « doubleuse » ou un bon « doubleur » (l’ouvrier-ère de l’équipe suivante) car si le doubleur ou la doubleuse faisait du mauvais travail on était pénalisé on se faisait réprimander et la paie s’en ressentait. Monique se souvient de son « doubleur » un moment donné qui n’avait pas bien compris le tissage du satin qui était plus complexe que celui de la cretonne et qui de ce fait faisait un « vilain tissu »< ;
Comme elle habitait le village voisin il fallait venir à pied (elle n’a eu sa bicyclette qu’à l’âge de 17 ans)par tous les temps souvent mal chaussée. Elle apportait un bidon de café ainsi que le casse-croûte. Le café elle allait le faire chauffer à la forge de l’usine, c’était aussi une occasion de plaisanter un peu avec les ouvriers de la forge. Lorsque sa plus jeune sœur est à son tour arrivée à l’usine, c’est Monique qui lui a appris le travail. Lorsque l’usine d’ Etueffont-Haut a fermé définitivement sa sœur a été licenciée. Monique, elle, est allée travailler à Etueffont-Bas. Là-bas, elle n’avait plus la responsabilité des métiers, elle aidait les ouvrières qui avaient des métiers automatiques. Elle se souvient en particulier que lorsque la bise soufflait (vent d’Est) le fil cassait souvent ce qui arrivait moins lorsque le temps était pluvieux)
En fin de semaine il fallait nettoyer les métiers qui étaient remplis de bourre de coton.
Monique a eu un accident qui aurait pu être très grave. Une navette s’est éjectée de la boîte et l’a atteinte sur le côté du nez au coin de l’œil.
Le travail commençait à 5h jusqu’à 13h et de 13h à 21h le soir.
Elle a travaillé là jusqu’à son mariage à l’âge de 23 ans.
Même si des souvenirs de bonnes rigolades subsistent elle a cependant gardé un très mauvais souvenir d’ensemble de ce travail, dur, peu gratifiant, et très mal payé.
Témoignage recueilli à Etueffont le 04/10/2006 par Simone Reiniche
Témoignage de MMe. Gisele Peltier, Tisseuse aux usines Zeller
Madame Gisèle Peltier née le 20 août 1931 à Valdoie est arrivée à l’âge de trois ans à Grosmagny.
En 1949, elle entre à 18 ans à l’usine d’Etueffont-Haut, elle sera formée par une « ancienne » et aura pour commencer deux métiers, au bout de quinze jours trois semaines elle aura tout de suite huit à dix métiers. Ces métiers étaient des métiers de petite largeur, on tissait du coton écru à ce moment là.
On travaillait en équipe, le matin de 5h à 13h, et l’après-midi de 13h à 21h.
Eté comme hiver il fallait se rendre à l’usine en vélo même par temps de neige, braver la bise et les congères à 4h30 du matin, elle a eu ensuite une mobylette et ce n’est qu’en 1968 qu’elle a passé son permis de conduire.
Les femmes enceintes jusqu’aux yeux travaillaient sur les métiers et maniaient les lourdes pièces de tissus, elles n’avaient pas droit à des postes allégés.
Après son mariage, avec un bûcheron agriculteur, il fallait aussi en rentrant de l’usine s’occuper des animaux, vaches, chèvres, volaille, lapins et enfants , (elle en a eu trois ), les lessives etc. (pour Gisèle la plus belle invention du 20e siècle est la machine à laver le linge)
Des accidents arrivaient souvent, Gisèle par exemple a eu son pouce blessé parce que les courroies étaient tenues par des poids très lourds. Comme le crochet maintenant le poids était cassé le poids a écrasé le pouce de Gisèle depuis elle a un pouce raide. Pour cela elle touche une pension d’accident du travail.
Pour justifier de l’accident du travail il fallait avoir deux témoins de l’accident ce furent Jacqueline Damotte et Marguerite Wachter.
Pour augmenter la production car elle était payée aux « points » (le compteur placé sur le métier décomptait les points) elle graissait les courroies des arbres à transmissions. Pour avoir une paie acceptable, il fallait avoir une bonne « doubleuse » (personne qui travaillait dans l’équipe suivante) Pour ne pas perdre de temps très souvent on mangeait en travaillant, on n’arrêtait pas les métiers pour cela.
Anecdote : un tisseur allait de temps en temps au bistrot chez Julot Monnier(en face de l’usine), pour que ses points soient quand même marqués il démontait le compteur et l’adaptait sur la courroie comme cela le compteur tournait et pourtant pas de tissu en bout de compte. (suivant les contremaîtres le contrôle était assez souple).
Gisèle s’est mariée en 1950, elle a travaillé à Etueffont-Haut jusqu’à la fermeture de l’usine.
Comme elle avait été accidentée du travail elle n’a pas été licenciée lors de la fermeture de l’usine mais reprise à Etueffont-Bas.
A Etueffont-Bas les métiers étaient larges, elle en avait huit, les horaires étaient les mêmes qu’à Etueffont-Haut.
Certaines tisseuses avaient une vingtaine de métiers automatiques. Il fallait sans cesse surveiller ces métiers pour éviter la bourre, les pas de chats (fil cassé qui se met en travers), les brêches, pour ces dernières il était fait appel à la « rentreuse ». On arrêtait alors le métier , pour cela il y avait une poignée sur le côté que l’on actionnait.
Lorsque la pièce de tissus était terminée une marque bleue apparaissait, il fallait alors ôter la pièce de tissu (bien lourde). On laissait une petite bande de tissu qu’il fallait enrouler bien serrée pour redémarrer une nouvelle pièce. On remettait les sangles de cuir avec les poids et le métier repartait après avoir actionné la poignée.
Il fallait aussi surveiller les lisières pour qu’elles soient nettes. Les pas de chats étaient réparés par la tisseuse avec son peigne spécial.
Le travail était dur mais souvent fait dans la bonne humeur, les tisseuses blaguaient avec les chefs et il y avait aussi une grande solidarité, même si Gisèle reconnaît que les contremaîtres répondaient plus vite aux demandes d’intervention sur les métiers des ouvrières « anciennes » qu’aux jeunes.
Gisèle est aussi allée travailler à Lepuix-Gy , là-bas elle tissait de la cingalette et de la fibranne elle n’aimait ,pas du tout ce tissu qui était mou et dont le fil cassait souvent, on y tissait aussi du nid d’abeille. Lorsque toutes les usines textiles ont fermé elle est allée travailler dans le plastique à Rougegoutte, le travail était moins dur que dans le tissage.